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14-16e siècle

La Prière au Jardin des Oliviers

MANTEGNA Andrea

Isola di Carturo, Padoue 1430/1431- Mantoue,1506

La Prière au Jardin des Oliviers

Bois transposé sur toile collée sur bois, peuplier

H. 71,1 cm L. 93,7 cm

Dépôt de l'Etat, 1806. transfert de propriété de l'Etat à la Ville de Tours, 2010

Inv. 1803-1-24

Notice complète

C'est à la fin de l'année 1456 que Gregorio Correr (1411-1464), abbé commendataire du monastère de San Zeno, à Vérone, commande au jeune Mantegna, travaillant à Padoue, le retable pour un maître-autel de l'église. Le polyptyque, terminé en 1459, représente le dernier chef-d'œuvre exécuté par cet artiste avant son départ pour Mantoue au service de Ludovico Gonzaga. Déplacé dès le XVIe siècle vers le fond de l'abside, le retable fut réquisitionné et démembré le 26 floréal an V (15 mai 1797) par le chimiste Bertholet, commissaire du gouvernement français.

Ce dernier laissera sur place le cadre remarquable, conçu également par l'artiste padouan. Les six morceaux (trois pour la partie supérieure, trois pour la prédelle) arrivèrent à Paris le 27 juillet 1798 et furent, dès novembre, exposés au Muséum central.

En 1803, pour compenser les saisies effectuées au château de Richelieu, principalement celles des tableaux de Mantegna provenant du studiolo d'Isabelle d'Este à Mantoue, Vivant Denon accorde au musée de Tours les deux parties latérales de la prédelle, considérées à cette date comme des œuvres indépendantes en raison de leurs dimensions exceptionnelles ; les éléments de la Pala étaient désormais définitivement dispersés entre Tours et Paris.

En 1815, Vérone récupéra la partie supérieure et remplaça par des copies les trois registres de la prédelle.

Le caractère novateur de la Pala de San Zeno a souvent été souligné. C'est peut-être le premier exemple sûr, en Italie du Nord, de "pala quadra", encadrée à l'antique et surmontée d'un fronton Renaissance.

Chefs-d'œuvre de la peinture italienne de la première Renaissance, ces deux panneaux résument tout l'art de Mantegna. Sensible à la lumière, qui, dans les deux compositions a la même provenance, l'artiste fait preuve d'une grande érudition en représentant la ville de Jérusalem selon la description donnée par Flavius Josèphe dans La Guerre des Juifs. La précision avec laquelle les trois quartiers de la ville sont différenciés - la citadelle d'Antonia représentée comme un château occidental ; la cité du Temple, imaginée comme un panthéon fantaisiste ; la ville nouvelle, délimitée par un mur en partie écroulé - contredit, en ce cas, les vaines spéculations selon lesquelles Mantegna aurait plutôt voulu représenter la ville de Constantinople, tombée depuis peu entre les mains des Turcs.

Construites selon un schéma spatial complexe mais toujours équilibré, les deux scènes sont animées de personnages conçus et dessinés comme des sculptures que Mantegna reprend de son maître Squarcione et de Donatello. La matière picturale, parfois fine et fluide, laisse entrevoir sous les couleurs claires des vêtements le dessin préparatoire, manifestement exécuté au pinceau.

Dans La Prière au Jardin des Oliviers, le Christ est réconforté par l'ange qui lui apporte le calice de la Passion ; Jacques, Jean et Pierre se sont endormis tandis que s'approchent les soldats conduits pas Judas. L'ange descend du ciel, vu en raccourci, de l'extérieur vers l'intérieur du tableau. Ceci sert à impliquer le spectateur dans l'espace du tableau et créer ainsi une proximité.

Dans l'ensemble des trois compositions, Mantegna utilise l'or afin de souligner les lumières. Dans cette scène les nimbes, très finement hachurés, les lumières posées sur le manteau bleu du Christ, sur le manteau rose de Judas, le calice apporté par l'ange ainsi que les nombreux détails dans les armures et dans la ville de Jérusalem (pomme de pin au sommet du temple, croissant coiffant la citadelle, les sphères au sommet des obélisques) sont peints à l'or.

Mantegna montre également bien d'autres raffinements dans une multitude de détails. Dans cette scène les effets liés à la représentation de la rivière, le Cedron, sont très sophistiqués (reflets des piquets de la berge et des rochers et transparence de l'eau laissant apparaître le fond).

Le rendu "à la loupe" de tant d'autres détails de la nature est surprenant ; c'est le cas par exemple pour l'arbre foudroyé le long duquel a grimpé une vigne. Il faut observer la description du bois écorcé, des racines découvertes ou des champignons, poussés à l'ombre, à la base du tronc. Le mobilier rocheux sur lequel est agenouillé le Christ offre d'incroyables nuances de couleurs différentes, qui vont du gris au rose ancien, en passant par le brun-vert. De la manche droite de la robe de saint Jean, faite de deux pans de tissus, on distingue même la couture. La compétition avec la peinture flamande est ici évidente. L'abondance de détails ne peut être une fin en soi et ce n'est pas un hasard si les plus surprenants d'entre eux ne sont pas de pures et simples prodiges optiques comme dans la peinture flamande ; c'est le murmure d'un filet d'eau, rebondissant dans sa chute sur un amas de pierre ; c'est la frayeur d'un lapin qui s'apprête à traverser le petit pont mais se laisse arrêter par le vacarme des soldats ; c'est encore le bourdonnement d'une myriade d'abeilles dorées autour des ruches. De tels détails, de manière subtile, participent à l'évocation de la scène dans son ensemble. Ils en sont les "bruits de fond" qui accroissent la tension de l'attente et fendent le silence qui entoure la solitude du Christ, alors que les apôtres sont presque pétrifiés dans l'inconscience de leur sommeil. En cette aube fatale, annoncée par la lumière d'un soleil qui bientôt fera son apparition dans le fond de la vallée et qui déjà colore les nuages de jaune et quelques feuillages de rose, ainsi que par le réveil de la vie (jusqu'aux détails infimes, dans la ville lointaine, des gens qui sortent de chez eux) chaque chose contient une évidence miraculeuse, presque magique, propre aux premières heures du jour et qui révèle la tension du drame maintenant imminent. S'opposant à la figure calme du Christ, le geste brusque de Judas, qui se tourne vers les soldats, donne une accélération à un drame jusque là secret au milieu de la nature impassible, et prépare en quelque sorte le moment décisif de l'action tout en annonçant la scène suivante, la Crucifixion.

A toutes ces valeurs d'une émotion intense, et qui ne reviendront jamais plus d'une façon si évidente chez Mantegna, répond la mise en scène absolument originale de La Résurrection.

© MBA Tours, cliché Marc Jeanneteau