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18e siècle

Manlius Torquatus condamnant son fils à mort pour s'être, malgré sa défense, engagé dans un combat singulier avant la bataille

BERTHELEMY Jean-Simon

Laon, 1743 - Paris, 1811

Manlius Torquatus condamnant son fils à mort pour s'être, malgré sa défense, engagé dans un combat singulier avant la bataille

1785 Huile sur toile

H. 328 cm ; l. 266 cm

Dépôt de l'Etat, 1803, transfert de propriété de l'Etat à la Ville de Tours, 2010.

1803-1-2

Notice complète

Jean-Simon Berthélémy entre à l’Académie royale dans l’atelier de Noël Hallé, vers 1758. Il franchit alors les différentes épreuves et étapes successives obligatoires au sein de cette institution et obtient le privilège d’être reçu à l’École Royale des Élèves Protégés où il va parfaire sa formation de peintre d’Histoire. Parallèlement Berthélémy commence à répondre à des commandes, en particulier de peinture décorative murale ou plafonnante. L’audace de l’artiste dans ce domaine sera admirée et sa réussite éclatante. Malheureusement un bon nombre de ces décors ont aujourd’hui disparu et nous sont connus uniquement par les esquisses préparatoires. En 1770, Berthélémy est admis en tant que pensionnaire de l’Académie de France à Rome. Il y séjourne quatre années, puis rentre en France, où il est agréé à l’Académie royale en 1777 sur présentation d’un sujet inspiré de l’histoire nationale Le Siège de Calais avant d’être reçu peintre d’histoire trois ans plus tard avec Apollon et Sarpédon (musée de Langres) qui sera ensuite présenté au salon la même année. De facture encore baroque cette œuvre montre que l’artiste hésite entre les grâces du style rocaille et la puissance morale du néoclassicisme naissant. Au même Salon est présenté le Bélisaire de Jacques-Louis David qui étonne et séduit les visiteurs par sa modernité.

Après sa réception à l’Académie, Berthélémy reçoit de nombreuses commandes royales, tout en exposant régulièrement au Salon. Entre 1779 et 1785 il y présente notamment diverses commandes de d’Angiviller, surintendant des Bâtiments du roi, pour la Manufacture des Gobelins. Pendant la Révolution son activité artistique ralentit, cependant dès 1791 il devient dessinateur en titre des costumes de l’Opéra, fonction qu’il conserve jusqu’en 1806, puis est nommé professeur adjoint à l’École Spéciale.

Manlius Torquatus condamnant son fils à mort pour s’être malgré sa défense, engagé dans un combat singulier avant la bataille

En 1784 d’Angiviller commande un tableau à Jean-Simon Berthélémy, pour les comptes des Bâtiments du roi. L’artiste avait proposé deux sujets au choix, La mort du Duc de la Force et le bonheur du dernier de ses fils qui échappa à la cruauté de Coconas et de ses complices et Manlius Torquatus condamnant son fils à mort qui fut préféré au premier. Le thème de ce tableau est emprunté au livre VII de l’Histoire romaine de Tite-Live, dont Berthélémy possédait une édition, connue par son inventaire après décès. Il est important de souligner que l’artiste, onze ans plus tôt, avait réalisé une composition sur ce sujet. La découverte récente d’un dessin (Paris, collection particulière) signé et daté 1774 en témoigne. Titus Manlius Torquatus, Consul en 235 av. J.C. condamna son fils à mort, devant les troupes assemblées, car il s’était engagé dans un combat malgré la défense qui lui en avait été faite. Cet exemplum virtutis particulièrement spectaculaire prônant la victoire des lois sur l’amour paternel est représentatif de ces sujets à la moralité sévère et édifiante qui sont choisis à l’aube de la Révolution.

Le tableau est présenté au Salon de 1785, qui marque un tournant dans l’histoire de l’art puisque Jacques-Louis David y expose Le Serment des Horaces. Trente tableaux d’histoire, dont quatorze commandés par le Roi, figurent à ce célèbre Salon dont l’accrochage nous est bien connu grâce à la gravure de Pietro Antonio Martini Coup d’œil exact de l’arrangement des peintures au Salon du Louvre, dont le musée de Tours conserve une épreuve. On peut remarquer très distinctement sur cette estampe la présence du tableau de Berthélémy, accroché en hauteur, à côté de La mort d’Alceste de Pierre Peyron (Musée du Louvre), sur le mur de droite de la salle. L’œuvre fut appréciée par la critique, mais avec quelques réserves. Vilette, dans Le Journal de Paris, 15 septembre 1785, écrit : « Ce tableau montre de la facilité ; il est composé de manière large ; il y règne même une sorte d’harmonie ; l’effet en est beau à la distance où il est placé ; mais quand on l’examine de près, on s’aperçoit que les parties en sont trop négligées. En général on peut reprocher à M. Berthélemy de trop s’abandonner à la facilité. Il ne faut pas qu’il s’y trompe. L’air de facilité exige beaucoup de peine ».

Par une ample mise en page, Berthélémy a su traduire l’intensité dramatique du sujet. Le brio de l’exécution, les larges coups de pinceau brossant vigoureusement la toile, accentuent la gravité du moment. La rigueur de l’esprit néoclassique prônant les vertus civiques les plus extrêmes, règne dans cette grande composition. Les gestes et les expressions des sentiments insistent sur le tragique de la situation, et le consul déchiré entre devoir républicain et amour paternel capte les regards. Pourtant ce tableau conserve encore bien des accents baroques, notamment les drapés soufflés et la foule moutonnante traitée à larges coups de pinceaux à la façon de Deshayes et les feuillages très proches de ceux de Boucher qui gardent encore un parfum très XVIIIe siècle.

Le tableau sera exposé une nouvelle fois au Salon en 1791, comme « exemple de discipline militaire », puis placé en 1799 dans la salle du Conseil des Cinq-Cents. Cependant cette œuvre qui était destinée à servir de modèle pour une tapisserie des Gobelins, ne sera finalement pas retenue. En effet le jury des arts et manufactures réuni en 1794 élimina radicalement « les tableaux présentans des emblêmes ou des sujets incompatibles avec les idées et les mœurs républicaines ». Le sujet du tableau de Berthélémy fut jugé « d’esprit républicain » mais le style de l’œuvre ne correspond plus au goût du jour et le procès-verbal de la séance mentionne « Manlius Torquatus condamnant son fils à la mort pour avoir vaincu l’ennemi contre les ordres de la République qui lui avait défendu de combattre par Berthelemi.- Sujet vraiment républicain. Tableau rejeté sous le rapport de l’art ».

Ce sujet rare fut cependant donné au concours des Grands Prix en 1792, puis une seconde fois pour le même concours en 1799. Depuis juillet 1792, Berthélémy est professeur-adjoint à l’École Spéciale de peinture et de sculpture, sa présence au sein de l’ancienne Académie a t-elle jouée un rôle dans l’attribution de ce sujet ? Alphonse Gaudar de Laverdine, obtiendra le Premier Grand Prix en 1799 avec sa composition (conservée à l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris.), pour laquelle le musée de Tours conserve trois dessins préparatoires.

Dès 1803 il fut décidé que ce tableau de Berthélémy serait déposé par L’Etat au musée de Tours. Le 29 janvier 1806, le Général de Pommereul, préfet d’Indre-et-Loire adresse une lettre à Dominique-Vivant Denon (1747-1825, directeur du Louvre), dans laquelle il réclame six tableaux, promis donc depuis trois ans et qui ne sont toujours pas parvenus à Tours. Ces tableaux, restés à Paris pour y être restaurés et avec le tableau de Berthélémy, étaient donc attendus, celui de Jean Jouvenet, de Michel-Nicolas-Bernard Lépicié, de Michel Corneille, de Mantegna et de Luca Giordano. Denon répond à Pommereul le 18 février 1806, que « l’Empereur lui a ordonné depuis peu de réserver pour la décoration des palais impériaux les tableaux qui resteront disponibles, mais ajoute-t-il quant à ceux [que vous m’énoncez ] il n’en est qu’un que je n’ai pu vous conserver, celui de Lucas Giordano ». Denon substituera à ce tableau Le Christ au Jardin des oliviers de Mantegna.

Texte extrait du catalogue raisonné Peintures françaises du XVIIIe s. Musée des Beaux-Arts de Tours / Château d'Azay-le-Ferron, par Sophie Join-Lambert

Silvana Editoriale, 2008


©MBA Tours, cliché Marc Jeanneteau