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18e siècle

Agar et l'Ange

PEYRON Jean-François-Pierre

Aix-en-Provence, 1744-Paris, 1814

Agar et l'Ange

Huile sur toile

55 x 38 cm.

Legs A. Pomme de Mirimonde au musée du Louvre, affecté par décision testamentaire au musée de Tours ; dépôt du musée du Louvre (inv. R.F. 1985-69) en 1986.

Inv. : D. 1986-1-4

Notice complète

Peyron suit les cours de l’Ecole de dessin nouvellement créée d’Aix en Provence, sa ville natale, avant d’entrer dans l’atelier de Louis Lagrenée l’aîné à Paris à partir de 1767. Il participe aux Concours de 1771, 1772 puis remporte le Grand Prix en 1773 devant David avec La mort de Sénèque (tableau perdu). Il suit alors l’enseignement de Dandré-Bardon à l’Ecole Royale des Elèves protégés et part pour Rome en 1775. Il y séjournera pendant sept ans, ces années furent fondamentales dans sa carrière et les plus productives. Il réalisera alors ses plus beaux tableaux marqués par le courant néoclassique mais dominés par une tension émotionnelle rare : Agar et l’Ange, 1779-1780, Le Bélisaire, 1779 (Toulouse, musée des Augustins), Les funérailles de Miltiade, 1782 (Paris, musée du Louvre)… De 1775 à 1780, David est aussi en Italie, le talent de Peyron et celui de David semblent porteur d’un renouvellement de la peinture française, les deux artistes seront alors plusieurs fois opposés ou comparés. Une émulation va naître entre eux qui sera finalement plus profitable à David.

De retour en France Peyron est agréé à l’Académie royale en 1783, il sera reçu quatre ans plus tard sur présentation de Curius Dentatus refusant les présents des ambassadeurs Samnites (Avignon, musée Calvet). Il avait obtenu deux ans auparavant au Salon de 1785 un vif succès avec la Mort d’Alceste (Paris, musée du Louvre) mais à ce même Salon David expose le chef d’œuvre qui allait bouleverser les dernières années du siècle Le Serment des Horaces. Au Salon suivant en 1787, les deux artistes présentent un tableau de même sujet : La mort de Socrate, la critique se tournera alors définitivement vers David.

Nommé Inspecteur général des Gobelins, Peyron occupe ce poste de 1786 à 1792, puis à partir des années révolutionnaires, abandonne presque totalement la peinture, et se consacre au dessin, ses œuvres seront cependant présentes au Salon jusqu’en 1812.

Agar et l’Ange

Si l’œuvre de J.F.P.Peyron est jalonnée par des tableaux dont les sujets sont empruntés à l’Antiquité, rares sont en revanche les thèmes bibliques. Tirée de l’un des livres de la Genèse (XXI, 8-21) l’histoire d’Agar et l’Ange est traitée par l’artiste avec une dimension dramatique particulièrement forte, mais aussi avec un troublant et bouleversant humanisme. Il est difficile de connaître l’historique de ce tableau avant son acquisition en 1947 par Albert Pomme de Mirimonde, cependant Udolpho van de Sandt et Pierre Rosenberg suggèrent que cette œuvre pourrait être celle passée en vente en 1808, avec son pendant représentant une Vierge à l’Enfant. Le parallèle entre ces deux sujets, empruntés à l’Ancien et au Nouveau Testament et évoquant l’amour maternel et la fuite obligée, est extrêmement symbolique.

Trois dessins préparatoires à Agar et l’Ange sont connus à ce jour, l’un d’entre eux conservé à Darmstadt est daté de 1779, ce qui permet de situer vraisemblablement la réalisation du tableau vers cette date ou plus précisément en 1780 comme semblerait le confirmer le zéro, seul chiffre encore lisible sur la toile à côté de la signature de Peyron. A Rome depuis quatre ans, Peyron montre un talent rare et une personnalité sensible, l’artiste est remarqué par d’Angiviller qui écrit à Vien, directeur de l’académie de France à Rome, précisément en cette année 1779 : « Peyron est de ceux sur lesquels je compte pour remonter notre peinture ».

Le traitement de la lumière qui est l’une des grandes qualités de ce tableau est peut-être une réponse de Peyron au souhait de d’Angiviller qui dans une lettre adressée à Vien écrit : « Si dans les deux sujets qu’il [Peyron] médite il y en avait qui dussent être traités dans un ton mystérieux favorable au clair obscur je les préfèrerais… ». Quelques jours plus tard Vien répond à ce courrier : « J’ai causé avec le Sr Peyron sur le choix des sujets qu’il pouvait faire pour produire les effets que vous désirez ». Dans cette composition ce « ton mystérieux » magnifie le geste salvateur de l’ange, dont les larges ailes déployées offrent une sorte de souffle au tableau. Le clair-obscur permet à l’artiste de faire résonner une palette riche, savante qui révèle, particulièrement dans ce tableau, à quel point Peyron fut sensible aux leçons de Lagrenée dans ce domaine. L’arrière plan, traité dans des tons ardoise, mauve, vert émeraude et gris perle, valorise les drapés cuivre et orangés de la tunique d’Agar qui illumine le centre de l’œuvre. Le visage fin d’Agar, aux traits délicatement soulignés, est commun à de nombreuses figures féminines de Peyron. Admirateur de Poussin dont il collectionnait les dessins, Peyron montre dans cette composition une sobre retenue qui semble directement influencée par ce maître.

Dans cette œuvre où se mêlent tension émotionnelle forte, élégance et raffinement l’attention est captée par la figure d’Agar, digne dans sa souffrance, et prête à assumer son destin.

Texte extrait du catalogue raisonné Peintures françaises du XVIIIe s. Musée des Beaux-Arts de Tours / Château d'Azay-le-Ferron, par Sophie Join-Lambert

Silvana Editoriale, 2008