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18e siècle

Portrait de Philippe Néricault Destouches (Tours, 1680 – Villiers-en-Bière, 1754)

GAROT DUBUISSON Etienne-Odot

Paris, vers 1652 –Rochefort, 1732

Portrait de Philippe Néricault Destouches (Tours, 1680 – Villiers-en-Bière, 1754)

Huile sur toile

73,5 x 58,5 cm.

Don de Jean-Jacques Raverot, 1837

Inv. : 1837-1-3

Notice complète

La biographie de Garot Dubuisson garde encore de larges zones d’ombres ou tout du moins d’incertitudes. Etienne est le fils du peintre François Garrot du Buisson « ancien » de l’Académie de Saint-Luc, artiste oublié aujourd’hui et qui pourtant signe comme témoin, aux côtés de Charles Le Brun, au contrat de mariage de Jean-Baptiste Monnoyer. Reçu maître peintre à l’Académie de Saint Luc en 1688, Etienne Garot Dubuisson quitte probablement Paris vers 1710 pour s’établir dans la région de Rochefort où il vient d’être nommé « peintre de la marine du roi », fonction qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1732. L’artiste connaît alors une certaine faveur locale qui se manifeste par les commandes de portraits de personnalités importantes. Ses portraits les plus connus sont ceux qu’il réalise pour la Chambre de commerce et pour la Juridiction consulaire de La Rochelle, conservés aujourd’hui à l’hôtel de la Bourse de cette ville. Cet ensemble commence en 1712 avec le Portrait de Jean Seignette, suivi de celui de Jacques Bonneau des Gardes, tous deux ayant joué un rôle important au sein de la Chambre de commerce rochelaise. Garot Dubuisson réalise ensuite (probablement entre 1713 et 1719) quatre portraits assez monotones et austères des juges consulaires : Robert Butler, Jean Trahan, François Darango, Jean Bruslé. C’est sans doute dans les portraits du début que Garot Dubuisson affirme le plus un talent sûr et une manière raffinée. Le souvenir de la présence de l’artiste en Aunis est attesté également par quelques tableaux d’églises : Présentation de Jésus à Siméon, 1725 (église de Dompierre-sur -Mer) ; Présentation de Marie au temple, 1723 (La Rochelle, chapelle du lycée Eugène Fromentin) ; Crucifixion, 1726 (église de Moëse), l’état de conservation de ces tableaux ne permet pas de s’en faire une idée juste, leur composition cependant semble assez conventionnelle et révèle des emprunts multiples.

Portrait de Philippe Néricault Destouches (Tours, 1680 – Villiers-en-Bière, 1754)

Boris Lossky, ancien conservateur du musée, a souligné qu’il n’y avait pas lieu de remettre en doute l’attribution de ce portrait à Dubuisson, le nom de cet artiste étant publié en 1838, dans le premier guide du musée, soit un an après seulement que l’œuvre fut entrée dans ses collections, suite au don de Jean-Jacques Raverot qui en fut conservateur jusqu’en 1837. Cependant Lossky hésitait sur l’identité exacte de l’artiste. Grâce à l’étude consacrée par Pierre Moisy à Etienne Odot Garot Dubuisson, l'attribution à cet artiste est confirmée. En effet les analogies entre cette œuvre conservée à Tours et quelques uns des portraits peints par Garot Dubuisson permettent de confirmer l’attribution. L’œuvre est en particulier très proche d’un Portrait de Jean Labbé, négociant de La Rochelle, conservé à Nantes dans une collection particulière et daté en 1711. Les deux œuvres présentent la même élégance, une façon naturelle de souligner les traits des visages, la même manière de traiter broderies, passementerie et dentelles et en tout premier lieu une palette où se mêlent délicatement les beiges et les gris absolument identiques.

Philippe Néricault Destouches accomplit ses études au collège des Jésuites à Tours, avant de les poursuivre au collège des Quatre-Nations à Paris. Les années de jeunesse du futur écrivain sont cependant assez mal connues. « Pour échapper aux ambitions de ses parents qui voulaient en faire un homme de robe …il se serait enfui …vers l’âge de dix-sept ans, et il aurait rejoint une troupe de comédiens de province ». Peu de temps après Néricault Destouches rencontre le marquis de Puysieuls, ambassadeur de France et gouverneur de Huningue, dont il devient le secrétaire, tout en s’initiant au métier de diplomate. En 1709 il présente en Suisse sa première œuvre, Le Curieux impertinent qui remporte un beau succès. La pièce sera donnée à la Comédie Française à plusieurs reprises. Trois ans plus tard est jouée sa seconde pièce, L’Ingrat, puis L’Irrésolu… Le soutien de la duchesse du Maine sera déterminant pour la célébrité de Néricault Destouches. La duchesse le charge de composer des divertissements pour agrémenter les rencontres littéraires qu’elle organise dans ses jardins à Sceaux à la fin du règne de Louis XIV. En 1714, il présente à Sceaux, Les Fêtes de L’Inconnu puis Le Mariage de Ragonde. Il rencontre l’abbé Dubois, ancien précepteur du duc d’Orléans, dont il devient le secrétaire, l’accompagnant dans sa mission de diplomate à Londres. Néricault Destouches devient ensuite secrétaire d’ambassade dans la capitale anglaise. En 1723, il regagne la France où il est élu à l’Académie Française. A la mort du Régent il quitte la diplomatie pour se consacrer entièrement au théâtre, et enchaîne des comédies qui vont connaître les plus grands succès : Les Philosophes amoureux (1730), L’Ambitieux et l’Indiscrète (1737), L’Archi-menteur (1751), les plus admirés étant Le Philosophe marié (1727) ou encore Le Dissipateur (1736) qui de 1736 à 1851 fut joué près de trois cents fois. Ce succès et cette immense popularité seront couronnés par son élection en 1742, au poste de directeur de l’Académie Française.

Ce portrait offre une grande similitude avec celui de l’écrivain peint par Nicolas de Largillierre en 1741 et conservé au musée de Brou. Le tableau de Tours cependant a été réalisé quelques années auparavant, probablement dans les années 1720 si l’on se réfère à l’habit que porte Néricault Destouches, mais également aux traits du modèle nettement moins marqués et lourds que sur le portrait peint par Largillierre. C’est ce visage qui capte l’attention, le regard légèrement rêveur de cet homme reste énigmatique. Garot Dubuisson a fait preuve dans la réalisation de ce portrait d’un réalisme raffiné. La palette est harmonieusement modulée dans les tons de beiges, de gris et d’argent. La matière douce de la veste est éclairée par les légers empâtements des dentelles de la longue cravate et des broderies. Ce tableau, sans doute contemporain de l’élection de Néricault Destouches à l’Académie Française, conserve ainsi un beau témoignage de cet homme à un moment essentiel de sa vie.

Texte extrait du catalogue raisonné Peintures françaises du XVIIIe s. Musée des Beaux-Arts de Tours / Château d'Azay-le-Ferron, par Sophie Join-Lambert

Silvana Editoriale, 2008