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19e siècle

Femmes d'Alger, intérieur de cour, 1859

GIRAUD Pierre François Eugène

Paris, 1806 - Paris, 1881

Femmes d'Alger, intérieur de cour, 1859

Huile sur toile

H. 190 cm. ; L. 140 cm.

Dépôt de l'Etat, 1859. Transfert de propriété de l'Etat à la ville de Tours, 2010

Inv. 1860-1-1

Notice complète

Admis à l’École des Beaux-Arts en 1821, Eugène Giraud est élève d'Hersent, pour la peinture, et de Richomme, pour la gravure, à l'École des Beaux-Arts de Paris en 1821, Giraud reçoit dès 1826 le prix de Rome en gravure. Grâce aux travaux que lui commandent des éditeurs, il peut venir en aide à sa famille et surtout à son jeune frère Charles.

À partir de 1831, il expose au Salon des portraits et des scènes de genre, obtenant en 1833 une médaille de troisième classe qui vient confirmer le succès remporté par Zampa ou la fiancée de marbre (non localisée).

En 1834, il part pour Rome où le rejoint son frère l’année suivante, puis parcourt l'Europe et séjourne en Espagne où il se rend pour le mariage des infantes. Il effectue ce voyage avec l’écrivain Auguste Maquet et les peintres Boulanger et Desbarolles. Le récit fait par Alexandre Dumas père, l’un de ses compagnons de voyage, est publié sous le titre de Paris à Cadix, illustré par Giraud. Ses notes sont consignées sous formes de dessins à la plume dont un ensemble, acquis par le musée Goya de Castres, témoigne de son sens de l’observation et de sa verve de caricaturiste. Leur périple se poursuit en Afrique du Nord avec la découverte du Maroc et de la Tunisie, puis celle de l’Algérie où ils voyagent aux frais du gouvernement français, sur un bateau à vapeur militaire, missionnés par ce dernier dans le cadre de sa propagande coloniale. Ils sont chargés de « faire connaître » l’Algérie aux Français afin de les encourager à y émigrer.

À son retour, plusieurs des peintures inspirées par l'Espagne suscitent l'intérêt de la critique et du public des Salons et sont achetées par l'État. A Paris, sa fréquentation des milieux du théâtre lui inspire de nombreux portraits d’acteurs, dont certains sont exécutés au pastel.

La protection de la princesse Mathilde, rencontrée en 1847, à qui il enseigne l’art du pastel, donne un nouvel élan à sa carrière. Grâce à ses portraits (la Princesse Mathilde, Flaubert, Delacroix...) il devient dès lors une figure brillante de la vie mondaine et artistique du Second Empire et un des hôtes favoris de la princesse, qui lui consacre une monographie écrite en 1884. Il laisse des vues très documentés des salons de cette dernière, dont l’ameublement est significatif de l’éclectisme qui règne en matière de décoration et dans lesquels elle réunit une importante collection de tableaux anciens et moderne.

Femmes d'Alger, intérieur de cour, 1859

Par un courrier du 11 août 1859, le comte de Nieuwerkerke, directeur général des Musée impériaux, surintendant des Beaux-Arts et familier de la princesse Mathilde, informe le Maire de tours qu’il a décidé d’attribuer Les Femmes d’Alger au musée de la ville. Giraud a déjà bénéficié auparavant d’achats et de commandes de l’administration des Beaux-Arts, essentiellement des portraits et un sujet espagnol.

Femmes d'Alger, œuvre ambitieuse tant par le format que par la composition, constitue la deuxième acquisition effectuée à l'artiste par l'État. Elle est représentée dans une vue de son atelier exécutée en 1859 par son frère Charles, avec son sculptural cadre de bois doré avec lequel elle est entrée au musée.

Présentée au Salon de 1859, elle rencontre un vif succès auprès du grand public et des salonniers, ce dont témoignent les appréciations laudatives de la part des critiques. Beaucoup y ont remarqué la qualité de la lumière, le pittoresque de la situation, des costumes et des types physiques. Théophile Gautier, qui aime tant les étoffes orientales, remarque particulièrement « les costumes éclatants et coquets [des Moresques d’Alger] dont nous pouvons confirmer l’exactitude » (« Feuilleton », Le Moniteur universel, 1959) tandis que ce sont « les grands yeux noirs bordés de Kh’ol et les longs cils soyeux qu’on vous a déjà montrés en Espagne que souligne E. Cantrel, ajoutant « il y a de l’air, du soleil surtout, et des draperies chatoyantes qui réjouissent l’œil ».

Cependant, son ami Alexandre Dumas père signale quelques défauts du peintre : « Sachant très bien dessiner, il a jugé alors le modèle inutile et s’est mis à dessiner de mémoire. Il en résulte qu’à l’heure qu’il est, il a à peu près oublié qu’il y a deux choses nécessaires chez un grand peintre : copier naïvement le modèle et l’idéaliser en même temps » (L’art et les artistes contemporains au Salon de 1859, Librairie Nouvelle, 1859).

Pourtant travaillant à son œuvre plus de dix ans après son voyage en Algérie, l’artiste rassemble ses souvenirs pour élaborer un sujet mis à la mode par Delacroix en 1834. Mais contrairement à ce dernier, Giraud ne cherche pas à se détacher de l'anecdote.

Le thème de la femme est récurrent dans l’œuvre de Giraud puisqu’il constitue la majorité des sujets picturaux inspirés de ses voyages lointains.

La vie mystérieuse des femmes orientales, enfermées dans les harems ou circulant voilées, inspire l’imagination des occidentaux et devient un des thèmes de prédilection des peintres, à cette époque.

Le titre de l’œuvre renvoie au célèbre tableau d’Eugène Delacroix Femmes d’Alger dans leur appartement réalisé en 1834 (Musée du Louvre). A la différence du maître, Giraud a choisi de représenter ses personnages, à l’entrée d’une demeure. Cinq femmes et trois enfants profitent du soleil et des notes de musique qui s’échappent d’un oud (luth arabe) dont joue la musicienne au centre de la composition. Les trois algéroises, sorties sur le pas de la porte, sont vêtues de riches tuniques de soie brodée sur des sarouels qui laissent voir leurs jambes nues.

Elles sont parées de bijoux précieux. La jeune femme, à droite, expose sensuellement son corps aux rayons du soleil tandis que celle de gauche, assise langoureusement fume une cigarette. Ce thème apparaît fréquemment dans les représentations de harem. Dans l’embrasure de la porte, on aperçoit trois autres femmes à demi dissimulées dans l’ombre ou derrière les soieries légères et diaphanes de leur toilette. La palette lumineuse et colorée, le traitement précieux des étoffes et des tapis ainsi que le motif de l’arc en fer à cheval, typique de l’architecture orientale, est spécifique du goût des amateurs de l’époque pour cet orient fantasmé. Dans ce contexte, le peintre n’a pas négligé le caractère anecdotique, présent dans la représentation de nombreux accessoires : les babouches, laissées négligemment sur les marches, le chasse-mouches, les petites tasses à café à pied de cuivre, le brasero et l’instrument de musique sont autant de symboles de la vie orientale dans la conception européenne. Ce pas de porte s’ouvre-t-il sur une cour close, à l’abri des regards ou sur une rue d’Alger où les corps féminins s’exposent aux yeux des passants ?


Par son caractère descriptif, il abonde en détails dont le pittoresque alimente le fantasme de luxure des Occidentaux. Le motif de la fumeuse, exploité par Devéria, Lecomte de Noüy, les accessoires (tasses à café, chasse-mouches, instruments de musique) d'une vie quotidienne dont l'observateur pressent qu'elle est tournée vers le plaisir et l'oisiveté, les éléments de la parure (maquillage, bijoux, étoffes transparentes) transforment ces femmes en idoles nonchalantes. Giraud ouvre ainsi la voie, éclairée d'une palette lumineuse et colorée, à l'exotisme racoleur et voluptueux.

© MBA Tours, cliché Gérard Dufresne