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18e siècle

La Bergère des Alpes

VERNET Claude-Joseph

Avignon, 1714 - Paris, 1789

La Bergère des Alpes

Huile sur toile

119,5 x 80 cm.

Envoi de la Direction des Musées de France à titre d’échange de dépôts, 27 juillet 1956.

Inv. : D. 1956-8-1

Notice complète

Après quelques années d’apprentissage à Avignon dans l’atelier de son père, Antoine Vernet, peintre décorateur, Claude-Joseph Vernet part à Rome en 1734 grâce à l’appui financier de deux personnalités avignonnaises. Ce qui n’aurait pu être qu’un séjour traditionnel de quelques années durera en fait près de vingt ans. La légende raconte que ce voyage lui permettra de faire une rencontre capitale, celle de la mer, elle lui offre alors le sujet de ses œuvres. Dès son arrivée à Rome, Vernet trouve une clientèle à la recherche de ses naufrages et tempêtes. Ses tableaux, dans lesquels il représente les aspects les plus dramatiques de la nature, sont marqués par l’influence des peintres napolitains, notamment Salvator Rosa et Solimena. En Italie il réalise également de nombreuses études d’après nature dans la campagne romaine, le long du Tibre mais aussi dans le sud du pays, en particulier à Naples. Reçut membre de l’Académie de Saint-Luc en 1743, ce n’est qu’en 1753 qu’il se décide à rentrer définitivement en France. La renommée immense qu’il avait acquise en Italie lui vaut, dès son arrivée, d’être reçu à l’Académie royale sur présentation de Soleil couchant sur la mer (non localisé) et de recevoir une commande royale importante, celle des Ports de France. Ce vaste projet avait pour ambition de vanter les grands ports militaires et commerciaux du royaume. Pendant neuf années Vernet se consacre à cette prestigieuse commande qu’il ne pourra cependant pas achever. Fatigué par les voyages nécessaires à la réalisation des Ports de France, l’artiste rentre à Paris en 1762, il ne quittera plus la capitale, travaillant uniquement dans son atelier pour une clientèle privée française et étrangère. Son œuvre, qui comprend plus de deux mille tableaux, jouera un rôle considérable sur le développement de la peinture de paysage du siècle suivant.

La Bergère des Alpes

Le sujet de ce tableau est emprunté à l’un des Contes Moraux de Jean-François Marmontel, que l’auteur lut pour la première fois en public en septembre 1759 chez le baron d’Holbach. Cette lecture nous est rapportée par Diderot dans sa Correspondance. Si Diderot reconnaît à ce texte : « du charme, du style… de la couleur… de la chaleur, du pathétique… », il regrette également qu’il contienne : « peu de vérité et point de génie ». L’histoire d’Adélaïde, jeune femme noble, contrainte à garder les moutons après la mort de son époux, et qui confie l’origine de son malheur au comte de Fonrose tout en lui désignant le tombeau de son mari, enterré sous l’arbre qui abritait leurs amours, obtint cependant un beau succès. Les Contes Moraux furent publiés en 1761, la même année Marmontel, protégé de Madame Geoffrin, donne une nouvelle lecture de La bergère des Alpes dans le célèbre salon de « la reine du faubourg saint-Honoré ». Elle commande alors à Claude–Joseph Vernet, qui fréquentait également sa maison, un tableau illustrant ce thème. Madame Geoffrin qui consignait une sorte de journal dans des petits carnets, notait également la liste des tableaux qu’elle commandait aux artistes avec leur prix. Elle indique « La bergère des Alpes – 1.800 livres ». Madame Geoffrin possèdera dans sa collection une dizaine de tableaux de Vernet, elle en lèguera trois à Simon-Charles Boutin dont La Bergère des Alpes. L’on sait qu’à partir de 1762, Vernet s’était définitivement installé à Paris travaillant essentiellement pour des commandes privées mais pas exclusivement puisqu’il réalise précisément en 1762 la série des Quatre parties du jour pour la bibliothèque du Dauphin à Versailles (4). Mais l’artiste n’a plus alors de contact direct avec la nature, et sa représentation des Alpes n’est plus que le résultat de souvenirs. Le sentiment de la nature qui va passionner et émouvoir le monde occidental dans la deuxième moitié du siècle, trouve ici l’une de ses plus belles expressions. L’arbre qui étend généreusement ses branches, les rochers moussus, les buissons, les alpages et enfin la haute montagne couverte de neige éternelle sont peintes d’une écriture fine et sensible. Vernet montre une fois encore dans ce tableau qu’il est un virtuose de la lumière. On a souvent évoqué l’influence dans ce domaine de Claude Gellée, mais dans ce tableau Vernet affirme une conception plus personnelle, plus réaliste de la lumière. Il représente ici un moment précis des dernières heures de la journée, instant presque fugitif où la lumière du soir voile le paysage d’une belle couleur dorée alors que le ciel est encore, pour quelques instants seulement, bleu.

L’œuvre de Vernet sera présentée au salon de 1763, le livret indique : « La Bergère des Alpes, sujet tiré des Contes moraux de Marmontel. On a pris le moment où la Bergère, en racontant ses malheurs au jeune Fonrose lui montre la Tombe de son mari ». Diderot jugera sévèrement ce tableau, rappelant à cette occasion qu’il n’appréciait pas non plus le conte de Marmontel. Diderot qui admire généralement les tableaux de Vernet, ne tarissant pas d’éloge à leur propos, ne retrouve pas dans cette œuvre cette « vérité » caractéristique aux productions de l’artiste. C’est un registre en effet nouveau que Vernet exprime avec ce tableau. Habitué aux naufrages, aux tempêtes de l’artiste, Diderot est manifestement déçu de ne pas retrouver le brio du peintre qu’il appréciait tant et à qui il réservera ses plus belles pages. De manière générale les critiques seront assez négatives. Les auteurs de ces textes n’ont pas vu que Vernet a réussi à représenter dans cette élégie pastoraleune osmose parfaite et rare entre l’expression d’un sentiment, en l’occurrence le remords et les regrets d’Adélaïde, et la nature baignée par les reflets dorés du soleil couchant. L’œuvre manifestement s’adresse, comme l’a souligné La Font de Saint-Yenne (1688-1771, critique d'art) devant d’autres tableaux de Vernet, « aux personnes de sentiment ». Ce traitement pré-romantique du paysage montre à quel point l’artiste jouera un rôle important pour les paysagistes des dernières années du siècle.

La même année Vernet peint une réplique de La Bergère des Alpes, aux dimensions identiques, pour le prince Dimitri Alexievitch Galitzine, chargé d’affaires de Catherine II à Paris en 1761 et 1762 et à partir de 1763 son ministre plénipotentiaire (avignon, musée Calvet).

Texte extrait du catalogue raisonné Peintures françaises du XVIIIe s. Musée des Beaux-Arts de Tours / Château d'Azay-le-Ferron, par Sophie Join-Lambert

Silvana Editoriale, 2008