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18e siècle

Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé

BOUCHER François

Paris, 1703 - Paris, 1770

Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé

1750 Huile sur toile

H. 129 cm ; l. 157 cm

Saisie révolutionnaire, château de Chanteloup, 1794.

Inv. 1794-1-1

Notice complète

Le thème des amours d’Apollon et Issé emprunté aux Métamorphoses d’Ovide (VI, 124) connut un très vif succès dès les premières années du 18ème siècle, grâce à L’Opéra Issé, créé en 1697 par André Cardinal Destouches sur un livret d’Antoine Houdar de la Motte. L’Opéra fut joué pour la première fois à Fontainebleau devant la Cour le 7 octobre 1697, mais la première représentation officielle eut lieu à Trianon le 17 décembre suivant en l’honneur du mariage du duc de Bourgogne et de Marie-Adélaïde de Savoie. Cette pastorale fut par la suite représentée de multiples fois et fut considérée comme le chef-d’œuvre du genre. Pendant l’hiver 1749, Issé fut jouée trois fois à Versailles, les 26 novembre, 16 et 22 décembre dans le théâtre des petits cabinets, la Marquise de Pompadour y tenait le rôle titre, le vicomte de Rohan interprétait celui d’Apollon. « Les décorations excitèrent l’admiration générale à commencer par un magnifique soleil composé de treize cents bougies ». Cette même année François Boucher présente à la direction des Bâtiments du roi un mémoire indiquant : « Mémoire d’un tableau pour le Roy peint par ordre de M. de Tournehem…par Boucher, professeur en son Académie, en 1749 ». Dans ce précieux mémoire, le peintre donne une description précise de son tableau : « Ce tableau, représentant Apollon et Issé, a 4 pieds de haut sur 5 pieds de large. Issé à demi couchée sur un lit de fleurs, paraît revenir d’un évanouissement et regarde tendrement Apollon, dans le moment où ce Dieu vient de quitter le déguisement de berger, ce qui est exprimé par les groupes d’Amours autour de lui, qui jouent avec différents attributs de la bergerie. Le Dieu soutient d’une main cette déesse et de l’autre il lui montre la gloire qu’elle va partager avec lui. Cette gloire est désignée par le char du Soleil, dont toutes les parties sont radieuses ; divers groupes d’Amours volent devant et semblent semer des fleurs sur la route que parcourt ce char. Un Amour debout sur le devant du char tenant un flambeau paraît ajouter à l’éclat qui part de ce char. Un autre groupe de deux Amours apporte à Issé la lyre d’Apollon, surmontée d’une couronne de laurier ». Pour cette œuvre Boucher demandait 2 400 livres. Le premier peintre du roi, Charles-Antoine Coypel ajoute en note sur ce mémoire : « L’ordonnance n’est pas passée par mes mains et de fait ce tableau ne fut pas payé par les Bâtiments, car il n’existe aucune ordonnance à ce sujet ».

Dès 1901 Fernand Engerand a identifié le tableau conservé au musée de Tours avec celui mentionné sur les comptes des Bâtiments du roi, cependant des publications successives et souvent contradictoires de cette œuvre ont en quelque sorte, brouillé les pistes, et il fallait revenir à l’origine de la commande pour mieux cerner l’histoire de ce tableau. Jean Vittet souligne à juste titre que si cette œuvre apparaît dans les comptes des Bâtiments du roi, elle ne fut pourtant pas payée par ce service, mais poursuit Vittet… « toutes les fois que le cas se présente il concerne les œuvres commandées par la marquise de Pompadour, qui utilisait très régulièrement pour ses propres travaux les services des bâtiments… ainsi des factures privées de la favorite payées sur ses crédits personnels se sont mêlées aux documents officiels sans qu’il soit toujours très facile de distinguer aujourd’hui ce qui relève d’un domaine plutôt que de l’autre ».

Très vraisemblablement ce tableau a donc été commandé par la marquise en souvenir du rôle qu’elle avait joué, peut être avait-elle envisagé de l’exposer au château de Bellevue inauguré en 1750, année même de la réalisation de cette peinture, mais elle n’y fut pas placée. Il est probable en revanche qu’elle fit partie des collections d’une autre demeure de la marquise, le château de Crécy. L’on retrouve en effet cette peinture en 1786 sur un petit guide faisant état des tableaux de Châteauneuf-sur-Loire, propriété du duc de Penthièvre. Cet ensemble comprenait plusieurs œuvres provenant de Crécy, propriété que le duc acheta le 21 septembre 1757 à madame de Pompadour. Puis, en 1786 Penthièvre achète à la veuve du duc de Choiseul le château de Chanteloup. Il fera apporter dans ce domaine quelques pièces de sa collection et en particulier ce tableau de Boucher ainsi que Sylvie fuyant le loup qu'elle a blessé et Aminte qui s'était précipité par désespoir du haut d'une colline escarpé revient à la vie dans les bras de Sylvie également dans les collections du musée de Tours

Apollon et Issé est répertorié dans l’inventaire révolutionnaire du château de Chanteloup sous ce titre « Apollon visitant Eglé sous la figure de feu la dame de Pompadour ». Le modèle est donc ici clairement identifié, pourtant ce célèbre tableau fut exposé et publié à de nombreuses reprises, proposant différents noms pour la figure d’Issé, en particulier celui de la duchesse de Choiseul, Mademoiselle Crozat. Il n’y a manifestement pas lieu de mettre en doute la mention de l’inventaire de 1794 si l’on compare l’Issé de Boucher aux portraits que cet artiste réalise de la marquise exactement la même année (musée du Louvre (inv ; R.F. 2142) et collection Rothschild, Waddesdon Manor ).

François Boucher choisit la scène finale de cette pastorale, durant laquelle Apollon abandonne son travestissement de berger et révèle sa divinité à Issé. Nimbé de lumière, le jeune dieu irradie le centre de la composition, tous les éléments en place convergent vers lui, par un jeu de courbes incessant qui offre un rythme magique à cette œuvre, courbes végétales des roseaux, des frondaisons, ronde des putti, arabesque du char d’Apollon forment un entraînant mouvement de spirale. Le pourtour du tableau reste dans l’ombre de manière énigmatique et renforce l’aspect féerique de l’épisode.L’artiste a respecté un passage du livret qui évoque le songe d’Issé, situant la scène la nuit, espace temporel des rêves. La forêt est en effet plongée dans l’obscurité de la nuit, le sous-bois reste mystérieux, les moutons de la bergère Issé apparaissent à peine entre les arbres, puis peu à peu la palette s’éclaire pour illuminer, de manière éclatante, dans une belle lumière dorée le torse et le visage d’Apollon. Les deux naïades au premier plan surprises dans leur sommeil par cette divine apparition, font partie des plus belles réalisations de François Boucher, le corps ondoyant des jeunes femmes formant une harmonie parfaite avec la végétation aquatique.

L’œuvre va connaître un beau succès qui se révèle en particulier par les différentes répliques d’atelier ou copies anciennes que l’on a pu cataloguer. En 1892, Berthe Morisot, en voyage à Tours se rendit au musée et sensible également à ce tableau fit une copie des deux naïades.


© MBA Tours, cliché Gérard Dufresne

Texte extrait du catalogue raisonné Peintures françaises du XVIIIe s. Musée des Beaux-Arts de Tours / Château d'Azay-le-Ferron, par Sophie Join-Lambert

Silvana Editoriale, 2008