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Huile sur toile
209 x 162 cm.
Legs Madame André Haussmann, 1872
Inv. :1872-1-1
Jean Raoux reçoit une première formation dans l’atelier d’Antoine Ranc à Montpellier sa ville natale, puis devient, vers 1703, l’élève à Paris de Bon Boullogne. Il remporte en 1704 le premier prix de l’Académie avec David tue Goliath d’un coup de fronde (tableau perdu) et part à Rome la même année. Ce long séjour durera près de dix ans et Jean Raoux le mettra à profit pour voyager à Florence, Padoue et surtout à Venise. Il devient dans cette ville le favori de Philippe de Vendôme, grand prieur de l’ordre de Malte. De retour en France, Raoux est agréé à l’Académie Royale en 1715, puis est reçu comme peintre d’histoire en 1717, le même jour qu’Antoine Watteau, sur présentation de Pygmalion amoureux de sa statue (Montpellier, musée Fabre). A cette date, Raoux est déjà un artiste reconnu, notamment pour ce que Dezallier d’Argenville nomme ses « sujets de caprices », tableaux dans lesquels l’artiste mêle rêve et réalité avec délice, et qui lui valent de nombreuses commandes. Peu à peu Jean Raoux abandonne le grand genre pour des thèmes plus aimables, son art poétique et élégant, où chaque élément est mis en place avec un grand raffinement, connaîtra un grand succès. Il réalise des scènes familières inspirées des modèles néerlandais du XVIIe siècle, en particulier pour la manière de moduler l’éclairage, en témoigne par exemple la Jeune fille au collier de perles, (Marseille, musée des beaux-arts). Raoux est, avec Nicolas de Largillierre, l’initiateur de la mode des portraits de danseurs ou d’acteurs représentés dans un de leurs rôles principaux. Dans une sorte de déclinaison, il réalise également des portraits mythologiques, Marie-Françoise Boucher en vestale,1733 (Dijon, musée des beaux-arts), qui joueront un rôle essentiel dans l’essor de ce genre au milieu du XVIIIe siècle.
Portrait de Mademoiselle Prévost dans le rôle de Bacchante
Ce portrait de Mademoiselle Prévost est le seul tableau de Raoux qui sera exposé au Salon du vivant de l’artiste, il est alors décrit ainsi dans le Mercure de France de 1725 : « De M. Raoux, le portrait de l’illustre Mlle Prevost, peinte en Bacchante, dansant et tenant une grappe de raisin ; avec un fond de paysage historié ; grand Tableau en hauteur ». Le tableau, considéré comme l’un des sommets de l’art de Jean Raoux, représente Françoise Prévost, danseuse de l’Opéra, dans l’un de ses rôles phares, celui d’une bacchante dans Philomèle, opéra écrit en 1705 par Roy et Lacoste. Cet opéra a en quelque sorte accompagné l’ascension de la danseuse, qui l’interprète une première fois en 1705, puis en 1709 et enfin le 27 avril 1723, dans une apparition courte mais remarquée de danseuse étoile ou « danseuse seule ». La Prévost obtient avec ce rôle un succès éclatant sur la scène de l’Académie Royale de musique ; la même année Raoux réalisera ce portrait qui commémore ce triomphe. Dezallier d’Argenville rapporte qu’après un séjour de huit mois passés à Londres en 1720, Raoux était rentré à Paris où il « se remit à ses sujets de caprices et aux portraits historiés qu’il traitait avec beaucoup d’intelligence et de vérité. Tels sont les portraits en pied de plusieurs actrices de l’Opéra, surtout une des plus célèbres habillée en prêtresse de Diane (la demoiselle Journet)… dans l’opéra d’Iphigénie. .. une autre sous la forme d’Amphitrite (la demoiselle Quinault) ; quelques unes en Bacchantes (les demoiselles Prévost et Poignan) tenant une grappe de raisins ; une autre en Nayade (la demoiselle Cartou) ; et la fameuse Actrice du théâtre Italien (la demoiselle Sylvia) en Thalie…». Le portrait de Mademoiselle Carton en naïade, commandé par le maréchal de Saxe (collection Wildenstein) est avec le tableau de Tours le seul tableau de cette série localisé aujourd’hui.
Elève du danseur Blondy (1675-1739), Françoise Prévost entre à l’Académie Royale en 1699 pour une reprise d’Athys, très rapidement elle surpasse les autres danseuses par une interprétation particulièrement expressive et par une technique exceptionnelle. Elle est choisie pour succéder à Mademoiselle de Subligny en tant que première danseuse, et sera particulièrement remarquée chez la duchesse du Maine à Sceaux par son jeu proche de la pantomime dans Horace. Elégante et aérienne elle affirmera sa technique prodigieuse dans une de ses créations chorégraphiques, Les Caractères de la danse, où elle se produira en soliste sur une musique écrite en 1715 par son ami Jean-Ferry Rebel. Noverre (1727-1810, danseur et maître de ballet) dira d’elle qu’elle est « la première danseuse digne de ce nom ». Françoise Prévost eut pour élève Mademoiselle Sallé et la Camargo.
Lorsqu’en 1723 Mademoiselle Prévost se produit pour la troisième fois dans l’opéra Philomèle, elle est alors au faîte de sa gloire, et se montre, comme il se doit avare de ses pas. Elle fera donc une seule et courte apparition. De la même manière que Mademoiselle Prévost créera un genre nouveau dans la danse, le tableau de Jean Raoux illustrant cet opéra est également tout à fait inédit pour ce type de composition. Cette œuvre semble être en effet le premier portrait qui présente une danseuse en pied et grandeur nature. L’attitude sautillante de la jeune femme crée un dynamisme également nouveau dans l’art du portrait. Le visage de la danseuse, tourné vers le spectateur, se découpe clairement sur le fond vert émeraude des feuillages, de manière à être traité très distinctement en portrait, genre que Raoux maîtrise avec talent. Les voiles légers de la jeune danseuse, d’une délicate transparence sur le buste, dansent avec elle, Raoux fait ici preuve d’une audace tout à fait nouvelle en comparaison des portraits de danseuses réalisés dans cette même période, tels le portrait de la Camargo par Lancret (Nantes, musée des beaux-arts) ou celui de la Barberina en bacchante par Antoine Pesne (Berlin, château de Charlottenburg).
Le livret de Philomèle donne des précisions sur le décor de cette scène : « Le théâtre représente l’appartement de la Prêtresse du Temple de l’Hymen et dans le fond le Palais du Roi et la Ville ». Ce décor qui évoque le palais de Térée, roi de Thrace et amant de Philomèle, est ici largement éclairé de manière à mettre en évidence la ronde des faunes et des bacchantes en arrière-plan qui offre une sorte d’écho au pas de danse de Mademoiselle Prévost. Raoux nous offre par une intelligente combinaison à la fois le portrait d’une danseuse se produisant sur scène, et un tableau mythologique. La finesse d’exécution, la palette subtile et riche, savante même, montrent à quel point Raoux a été marqué par son long séjour à Venise.
Texte extrait du catalogue raisonné Peintures françaises du XVIIIe s. Musée des Beaux-Arts de Tours / Château d'Azay-le-Ferron, par Sophie Join-Lambert
Silvana Editoriale, 2008