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18e siècle

Allégorie à la mort de Marat

DURAMEAU Jacques-Louis

Paris, 1733-Versailles, 1796

Allégorie à la mort de Marat

Huile sur bois

18 x 31,5 cm

Legs de la Comtesse Aimée-Adélaïde de Trobriand en 1895, récupéré dans un bâtiment municipal en 1924

Inv. : 1924-1-38

Notice complète

Fils de Jacques Durameau, maître-imprimeur en taille douce, Louis-Jacques Durameau était destiné par son père au métier de graveur. Après avoir étudié le dessin chez le sculpteur Jean-Baptiste Defernex, il entre dans l’atelier de Jean-Baptiste-Marie Pierre. Il obtient le premier Grand Prix de Rome en 1757 avec Elie ressuscite le fils de la Sunamite (Paris, E.N.S.B.A.) et entre cette même année à l’Ecole royale des élèves protégés où il étudiera pendant trois ans. Il arrive à Rome l’année suivante et s’exerce aux travaux de copies obligatoires.C’est à Rome, au contact de l’œuvre des Carrache, du Dominiquin et de Lanfranco, que Durameau conçut l’ambition de faire de la grande décoration dans le style noble et grandiose des peintres bolonais et romains.

Agréé à l’Académie royale en 1766, Durameau réalise alors ses premières commandes, en particulier un plafond pour le palais de Justice de Rouen, représentant Le Triomphe de la Justice qu’il présente au Salon de 1767. Le beau succès qu’il remporte à ce Salon lui vaut d’obtenir la réalisation de plafonds pour l’opéra du Palais Royal, et pour celui du château de Versailles. En 1774, il est reçu comme peintre d’histoire à l’Académie avec L’Eté, l’un des compartiments du plafond de la galerie d’Apollon au Louvre. L’artiste est alors reconnu comme l’un des plus brillants décorateurs de sa génération, ce qui lui vaut d’être nommé peintre du Cabinet du Roi en 1778.

Jusqu’en 1789 L.-J. Durameau expose régulièrement au Salon, mais son art ne correspondant plus au goût du jour, il essuie dans les dernières années des critiques sévères. L’artiste se consacre alors à sa charge de garde des tableaux du Roi à la Surintendance des Bâtiments à Versailles et à ses fonctions de professeur à l’Académie. La commission temporaire des arts, mise en place durant les années révolutionnaire, reconnaîtra à Durameau sa parfaite connaissance des tableaux de Versailles, due en particulier à l’inventaire complet des collections qu’il avait réalisé, et le nommera conservateur au musée spécial de l’Ecole Française en 1795.

Allégorie à la mort de Marat

Entré dans les collections du musée en 1924 comme anonyme, ce petit panneau en grisaille peint avec brio sur un fond bleu fut classé parmi les œuvres de l’école de Fragonard. L’intérêt de cette composition traitée avec dynamisme et une belle finesse d’exécution méritait quelques recherches afin de lever cette prudente attribution. Après plusieurs hésitations, les conseils de Pierre Rosenberg et de Claudine Lebrun Jouve ont guidé vers Louis-Jacques Durameau, attribution confirmée par Anne Leclair. L’Allégorie à la mort de Marat vient ainsi compléter avec bonheur le corpus de cet artiste.

Cette esquisse peut avoir été réalisée dès 1793, sous le choc de l’événement, pour commémorer la mort de Marat, elle pouvait être préparatoire à une ornementation pour un « catafalque, mausolée ou un autre monument commémoratif se rapportant à Marat . A cette date l’on sait que Durameau avait presque cessé de peindre, se consacrant essentiellement à ses fonctions à l’Académie et à la Surintendance des Bâtiments à Versailles, soucieux à partir de 1792 de préserver de la dispersion les collections royales. Il sera l’un des acteurs essentiels de la création du Muséum (futur Louvre), la Commission des arts l’ayant nommé commissaire chargé de l’organisation de ce musée naissant en octobre 1792. Durameau ne semble pas avoir été un Républicain convaincu mais les évènements l’amènent à travailler étroitement avec le nouveau gouvernement mis en place. Cependant, en l’absence de document il est délicat de déterminer les raisons pour lesquelles Durameau a réalisé cette esquisse à la gloire de Marat, et s’il s’agit d’un projet personnel ou d’une commande.

Sur ce petit panneau, soutenu par Simone Evrard sa gouvernante et amie, Marat expire, vêtu d’un large drapé tel un héros de l’antiquité mourant pour la Patrie. Charlotte Corday fuit vers la droite tenant d’une main son poignard et de l’autre un crucifix. La scène traitée en camaïeu se déroule en frise devant un arrière plan sur lequel est représentée une allégorie de la République tenant le bonnet phrygien à la main. Ce fond uni évoque celui de l’esquisse pour le catafalque de Marie-Thérèse d’Autriche réalisée par Durameau en 1781, mais la composition rappelle plus précisément les bas-reliefs traités en trompe l’œil pour cette même commande (France, collection particulière). L’utilisation de la grisaille en camaïeu est habilement maîtrisée par l’artiste sur cette Allégorie à la mort de Marat, le drame de la scène est accentué par le regard dérangeant, presque inquiétant, des personnages aux yeux ronds et noirs, des yeux aux orbites vides. On retrouve ce type de regard très particulier sur d’autres œuvres de Durameau, notamment sur l’esquisse de La Continence de Bayard, 1777 (Grenoble, musée des beau-arts) ou encore sur L’Intérieur d’une imprimerie de la Fondation Custodia attribuée à l’artiste.

Au dos de cette composition est représenté un Buveur à la pipe manifestement d’inspiration nordique, proche en particulier des œuvres de Jacob Torenvliet (Leyde 1636-1719) ou d’Arie de Vois (Utrecht 1632-Leyde 1680). Durameau, qui fut un admirateur des artistes hollandais et flamands du XVIIe siècle, comme tant d’autres de ses contemporains, se livre ici à l’exercice du pastiche. Cette tête rapidement brossée dans une veine nordique et réaliste évoque les deux petites études peintes par Durameau et conservées à Besançon Le Joueur de violon et Le Buveur.

Texte extrait du catalogue raisonné Peintures françaises du XVIIIe s. Musée des Beaux-Arts de Tours / Château d'Azay-le-Ferron, par Sophie Join-Lambert

Silvana Editoriale, 2008