UA-10909707-12
Accueil > Musée et collections > Peinture > 18e siècle
Huile sur toile
325,5 x 223 cm.
Saisie révolutionnaire, couvent des Dames de la Charité du Refuges, La Riche
Inv. : 1793-9-1
C’est vraisemblablement dans l’atelier de son père, Claude Lamy, à Mortagne-au-Perche (Orne) que le jeune Charles s’initie à la peinture. Deux œuvres de Claude Lamy seulement sont aujourd’hui identifiées avec certitude, une Assomption de la Vierge, 1693 (église d’Ecorcéi) et une Crucifixion de Saint Pierre, 1689 (église de Courville), mais on peut penser que cette production a influencé la sensibilité et la carrière de son fils. Charles Lamy quitte la Normandie et s’installe à Paris où il devient l’un des élèves de Bon Boulogne. Il reçoit le premier Grand prix à l’Académie en 1717 avec Nabursadan général des armées de Nabuchodonosor délivre le prophète Jérémie (localisation actuelle inconnue). Désigné en 1723 par Louis de Boulogne, alors directeur de l’Académie, parmi les sept meilleurs élèves susceptibles de pouvoir séjourner à l’Académie de France à Rome, Charles Lamy ne sera finalement pas choisi. Agréé à l’Académie en 1733, il expose l’année suivante au Salon de la Jeunesse, L’Assomption de la Vierge, conservée au musée de Tours. Reçu comme peintre d’histoire en 1735 sur présentation de Jupiter foudroyant les Titans (Paris, musée du Louvre), c’est cette même année qu’il peint sur la commande des sœurs du Refuge, Les religieuses de Notre-Dame de la Charité du Refuge en adoration devant les Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie, conservé également au musée de Tours. C’est un artiste de presque cinquante ans qui commence alors une production assez abondante. Il expose régulièrement au Salon entre 1737 et 1742 des sujets religieux ou mythologiques : Le Christ au Sépulcre (Saint-Gobain, église du Sépulcre), Latone allaitant Apollon et Diane (localisation actuelle inconnue), Bethsabée au bain (localisation actuelle inconnue). … Si l’empreinte de Bon Boulogne est perceptible dans l’oeuvre de Charles Lamy, l’artiste cependant, par un coloris franc et souvent audacieux, montre également qu’il a su se démarquer de l’influence de son maître pour entrer avec assurance dans la production artistique qui marquera le début du règne de Louis XV.
L'Assomption de la Vierge
Cette oeuvre provient comme le second tableau de Charles Lamy conservé au musée de Tours du couvent de Notre-Dame de la Charité du Refuge, ordre fondé par saint Jean d’Eudes à Caen en 1641 et établi à Tours depuis 1711. Cette communauté qui se consacre à la « conversion des filles et femmes qui sont tombées dans le désordre et veulent en sortir pour faire pénitence sous leur conduite » s’installe, à la suite de l’approbation royale de 1728, au faubourg La Riche, situé à la limite de la ville de Tours.
Réalisé en 1734 le tableau est présenté au mois de juin de cette même année au Salon de la Jeunesse. C’est la première fois que l’artiste expose une de ses œuvres dans un Salon officiel. C’est probablement à cette occasion que le tableau est acquis par les religieuses qui commandent à Charles Lamy un second tableau signé et daté en 1735 : Les religieuses de Notre-Dame de la Charité du refuge en adoration devant les Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie. Deux autres œuvres du peintre étant conservées au XVIIIe siècle dans la même communauté religieuse de Notre-Dame de la Charité, à Paris et à La Rochelle, on a pensé que l’artiste avait peut-être des liens familiaux avec l’une des religieuses, mais cela n’a pu être confirmé. Ce que l’on sait en revanche c’est que lorsque saint Jean d’Eudes fonde à Caen l’ordre de Notre-Dame de la Charité du Refuge il est aidé par une femme vivant à Caen, Madeleine Lamy, qui recueillait les femmes en difficulté. Le rôle de saint Jean d’Eudes est, dans cette ville, indissociable de celui de Madeleine Lamy. Les recherches effectuées auprès de la communauté Notre-Dame de la Charité de Caen et des archives départementales du Calvados, n’ont pas permis d’établir s’il y avait un lien de parenté entre cette femme et Charles Lamy.
L’été 1771, la communauté de La Riche devant faire face à des difficultés financières sérieuses fut sur le point de monnayer cette Assomption mais garda finalement « l’argent et la marchandise » après avoir reçu d’un généreux ami ecclésiastique la somme de 1500 livres.
Le 18 octobre 1792, les religieuses sont expulsées de leur couvent, le 20 novembre leurs biens sont saisis, à l’exception des meubles qui sont mis en vente le mois suivant. Les deux tableaux de Charles Lamy du couvent de La Riche entrent dans les collections du musée à cette date.
En 1823, la mère supérieure des religieuses de la Charité du refuge adresse une lettre au nouveau Préfet d’Indre-et-Loire, le vicomte de Nonneville dans laquelle elle exprime son souhait que ce tableau lui soit rendu ainsi que deux autres œuvres : « Rentrant par l’autorisation de sa Majesté dans les débris de notre ancien monastère, nommé le petit Couvent de la Riche, nous prenons la confiance d’avoir de nouveau recours à votre protection, à l’effet d’obtenir que nous soit rendu trois de nos tableaux qui ont été mis au musée de cette ville, dont le premier représente le père Eternel..., le deuxième a pour sujet un bon pasteur… et le troisième l’assomption de la Vierge ». Dès le lendemain le préfet demande au maire de Tours, René Legras de Sécheval, la suite à donner à cette requête. Après avoir reçu l’avis de Jean-Jacques Raverot, conservateur du musée, le maire répond au préfet que la restitution de ces trois tableaux aux religieuses est impossible, sous le prétexte, à moitié vrai seulement, que les deux premières œuvres ne proviennent pas de ce couvent et enfin pour l’Assomption de la Vierge de Charles Lamy, que : « ce tableau est un sujet d’étude qui sert souvent de modèles aux artistes ou amateurs. Il en a été fait une copie pour l’une des églises de ce département… ». En effet, le tableau de Lamy comme d’autres oeuvres du musée, servait de modèles aux élèves de l’Ecole de dessin ainsi qu’aux « amateurs », mais fut peut être également copié en réponse à des commandes pour des églises de la région. Les deux copies de la composition conservées dans l’église de Richelieu et de Confolens en témoignent, ainsi que les deux toiles représentant les figures isolées de saint Pierre et saint Paul dans l’église de Monnaie.
Le très grand format de L’Assomption de la Vierge permet à l’artiste de développer sa composition dans de larges courbes onduleuses qui confèrent à l’œuvre un incessant mouvement tourbillonnant. La Vierge assise sur un nuage supporté par des anges, s’élève de son tombeau pour atteindre le ciel. Les drapés souples et généreux, les gestes emphatiques des nombreux personnages confèrent à l’œuvre une force empreinte de pathétique. Boris Lossky souligne que la composition reprend : « le type iconographique de l’Assomption traitée en ascension apothéosiaque, consacré par le chef-d’œuvre du Titien aux Frari de Venise, amplifié dans de nombreuses toiles de Rubens, traité en France par Philippe de Champaigne pour la Chartreuse du Val-Dieu et par La Hyre pour les Capucins de la rue Saint-Honoré et repris avec éclat… par Sebastiano Ricci dans son retable à l’église Saint-Charles à Vienne ». Cette Assomption de Charles Lamy marque le début de la carrière de l’artiste qui réalise ici une œuvre éclectique marquée par de nombreuses réminiscences mais qui témoigne également d’une science de la couleur étonnante avec une palette riche et contrastée redécouverte grâce à une restauration récente. Lamy utilise ici une palette riche, les quatre tons de rouge allant du vermillon au rose saumoné pour les tuniques des anges.. l’azurite pour le ciel du fond, le cobalt pour le manteau de la Vierge et la tunique de saint Pierre, le vert Véronèse pour celle de saint Paul…
Texte extrait du catalogue raisonné Peintures françaises du XVIIIe s. Musée des Beaux-Arts de Tours / Château d'Azay-le-Ferron, par Sophie Join-Lambert
Silvana Editoriale, 2008