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Huile sur toile
28 x 35 cm.
Provenance inconnue
Inv. : 1947-43-37
Après une première formation à Metz, sa ville natale, Jean-Baptiste Le Prince entre à Paris dans l’atelier de Boucher vers 1750 grâce à la protection du maréchal de Belle-Isle, gouverneur de Metz. Il étudie ensuite avec Vien puis se rend en Hollande et enfin en Russie où vivent plusieurs membres de sa famille. Ce séjour en Russie qui durera plus de cinq années, de 1757 à 1762, sera déterminant pour l’artiste. Il découvre Saint-Pétersbourg, Moscou mais aussi la campagne russe, la Finlande et la Sibérie. Devant ces paysages nouveaux, il multiplie les dessins et les esquisses et croque sur le vif des scènes de la vie quotidienne. Dès son retour à Paris, Jean-Baptiste Le Prince est agréé à l’Académie royale en 1764 puis reçu un an plus tard comme peintre de genre sur présentation du Baptême Russe (Paris, musée du Louvre). Il expose alors au Salon une quinzaine d’oeuvres inspirées de ce long séjour en Russie et qui remportent un grand succès. Le public, attiré et séduit par la mode de l’exotisme, trouve dans les compositions russes de Le Prince un pittoresque tout à fait inédit et qui le passionne d’autant plus depuis l’arrivée sur le trône de Russie de Catherine II. Pendant plusieurs années Le Prince déploie une activité intense de dessinateur, peintre, illustrateur, graveur, exploitant dans ses œuvres les notes et esquisses rapportées de son voyage en Russie. Son rôle est notamment essentiel dans l’illustration du célèbre Voyage en Sibérie de Jean Chappe d’Auteroche publié en 1768. L’artiste s’éloigne ensuite peu à peu de ces souvenirs russes, et réalise des scènes de genre et des paysages souvent marqués par les productions de peintres d’école du Nord, mais également des pastorales qui montrent son attachement aux leçons de Boucher.
Ce prolifique dessinateur invente le procédé de la gravure en manière de lavis, dont il présente les premiers essais au Salon de 1769 et qui connaîtra un immense succès. Le Prince prendra également une part active au sein de l’Académie Royale, il formera des élèves qui joueront un rôle important sur la scène artistique des dernières années du XVIIIe siècle, en particulier Jean-Baptiste Huet. Il rédigera à leur intention en 1773 un traité des Principes du dessin dans le genre du paysage.
Paysage avec un pont
Ce petit tableau est tout à fait inédit, conservé dans les réserves du musée il n’a fait l’objet d’aucune publication et sa provenance reste inconnue. On peut émettre l’hypothèse qu’il appartenait peut être à Simon-François Le Prince, frère de l’artiste, qui vivait à Tours où il exerçait la profession de doreur au Palais de l’archevêché. Simon-François décède à Tours en 1775, et son inventaire après décès, effectué en présence de Charles-Antoine Rougeot (premier conservateur du musée de Tours) mentionne dans un « petit cabinet » : « un tableau représentant un paysage estimé 2 livres ». Rien ne prouve que ce paysage soit celui conservé au musée de Tours, mais il est important de noter que dans ce même cabinet se trouvaient également « des tableaux représentant les deux empereurs et impératrices de Russie », sujets si caractéristiques de la production de Jean-Baptiste Le Prince.
Le dessin préparatoire à ce tableau est conservé dans une collection particulière et est à situer vers les années 1776-1777, période durant laquelle l’artiste se dégage de l’influence de Boucher et défini un style bien reconnaissable, notamment dans le feuillage des arbre. De retour en France, Jean-Baptiste Le Prince va graduellement délaisser les sujets inspirés par son séjour en Russie. Marie-Elisabeth Hellyer dans l’étude qu’elle a consacrée à cet artiste dans le cadre d’un doctorat (1982), précise qu’à partir de 1776 et jusqu’en 1781, date de son décès, il passe une grande partie de son temps dans sa maison de campagne à Saint-Denis-du-Port près de Lagny (acquise en septembre 1775) et réalise essentiellement des paysages. Diederik Bakhuÿs (Historien de l'art, conservateur du patrimoine) rappelle que « si son activité de peintre suit dès lors un rythme beaucoup plus irrégulier, certains de ses tableaux les plus ambitieux sont conçus au cours de ces ultimes années d’activité. Inspirés par la campagne des environs de Lagny, ils se situent généralement à mi-chemin entre le paysage et la scène de genre ». Dans ces tableaux, le peintre montre son attachement pour les artistes des écoles du Nord. Cet intérêt marqué pour les productions hollandaises et flamandes du XVIIe siècle est certes commun à de nombreux artistes français dans ce milieu du siècle, mais il faut souligner que l’on trouve dans le catalogue de la vente après décès de Jean-Baptiste Le Prince à la suite des nombreux objets, costumes…rapportés de Russie, et de plusieurs centaines de dessins de l’artiste, un ensemble important de gravures d’après des compositions nordiques de Berchem, Adrien van de Velde, David II Teniers… et soixante treize estampes de Rembrandt. Devant les œuvres de Le Prince réalisées durant ces dernières années les critiques soulignent de manière quasi permanente la filiation évidente avec les artistes nordiques, évoquant Rembrandt pour les scènes de genre et Ruisdael pour les paysages. Cette influence est particulièrement perceptible sur le petit paysage de Tours, la mise en page, l’importance laissée aux arbres qui déploient largement leurs branches sur le ciel et la façon de moduler la lumière dans de douces couleurs ambrées, évoquent directement plusieurs œuvres du paysagiste hollandais.
Dans son traité des Principes du dessin dans le genre du paysage, publié en 1773, Jean-Baptiste Le Prince montre une attention toute particulière pour la représentation du feuillage des arbres, cet intérêt est manifeste dans ce petit tableau. L’écriture fine, délicate qui est l’une des constantes de la manière de peindre de l’artiste, souligne les détails de cette composition. Les arches ruinées du pont, envahies par la végétation et la petite passerelle de bois donnent à cette œuvre un accent préromantique et un charme particulier. La présence des trois personnages animent la scène avec bonheur, le petit garçon allongé au bord de l’eau, son chapeau de paille posé auprès de lui est une image savoureuse, qui se retrouve sur d’autres compositions de l’artiste, l’homme coiffé d’une toque russe, qui franchit le pont est une nouvelle évocation des réminiscences du voyage en Russie de Le Prince.
Jean-Baptiste Le Prince a durant les dernières années de sa vie réalisé de nombreux paysages sur le motif, essentiellement dans la campagne des environs de Lagny, il expose au Salon à partir de 1773 plusieurs tableaux qui en témoignent : Un paysage d’après nature (Salon de 1773, n°56), Trois paysages des environs de Lagny, (Salon de 1777, n° 57)…. Le thème du tableau de Tours est un sujet qu’il affectionne particulièrement pendant cette période de sa carrière, un tableau Paysans et pêcheurs au bord de la rivière présente le même petit pont mais vu sous un autre angle, et la même barrière en bois.
Texte extrait du catalogue raisonné Peintures françaises du XVIIIe s. Musée des Beaux-Arts de Tours / Château d'Azay-le-Ferron, par Sophie Join-Lambert
Silvana Editoriale, 2008