UA-10909707-12

> > > 19e siècle

19e siècle

Persée délivrant Andromède

BIN Emile-Jean-Baptiste-Philippe

Paris, 1825 - Paris, 1897

Persée délivrant Andromède

Huile sur toile

H. 258 cm. ; L. 322 cm.

Dépôt de l'Etat, 1865, transfert de propriété de l'Etat à la Ville de Tours, 2010

Inv. 1865-1-2

Notice complète

Entré à l’École de Beaux-Arts de Paris en 1842, Emile Bin est présenté par Léon Coignet, son professeur, au concours pour le prix de Rome en 1850, 1851 et 1854. Il obtient le Second grand prix en 1850 avec Zénobie trouvée par des bergers sur les bords de l’Araxe. Le calque de cette épreuve, conservé à l’École des Beaux-Arts de Paris, révèle l’aptitude de l’artiste à maîtriser les formes par un dessin linéaire délimitant les figures. C’est dans le registre de la peinture d’histoire, qui constitue le fondement de l’enseignement académique que Bin choisit de s’exprimer.

Il expose régulièrement au Salon des portraits, des sujets religieux, mythologiques ou allégoriques, et bénéficie, de 1852 à 1891, d’une longue suite d’achats et de commandes de l’État (Démence d’Hercule, 1866, Nantes, musée d’Arts ; Prométhée enchaîné, 1869, Marseille, musée des Beaux-Arts ; Hippomène et Atalante, 1891, Issoudun, musée Saint-Roch), développant parallèlement une vaste activité de décorateur. Familier des compositions monumentales, il exécute de 1864 à 1868 le plafond de l’Aula de l’École polytechnique de Zurich, livre en 1876 des peintures pour le plafond de la salle à manger du palais de la grande chancellerie de la Légion d’honneur à Paris, un ensemble important pour le théâtre de Reims (1872, deux plafonds baroques), pour celui de Chambéry, pour l’Hôtel de ville de Poitiers (1881), ainsi que pour plusieurs hôtels particuliers parisiens comme ceux des famille Disdéri, Osmond, Pereire, Pillet-Will et Erlanger. En 1871, la Russie lui commanda trois grandes compositions, La Guerre, La Paix et La Famine (ou La Peste). Médaillé au Salon en 1865 et 1869, il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1878.

Persée délivrant Andromède

Pour le salon de 1865, Bin décide de traiter un thème mythologique très répandu dans l’art occidental depuis l’Antiquité, celui d’Andromède, fille de Céphée, roi d’Ethiopie et de Cassiopée. Celle-ci ayant disputé le prix de beauté aux Néréides, Andromède est condamnée par Neptune à être livrée au monstre marin qui désole le pays. Le thème donne lieu à de multiples variations iconographiques, dont une des plus célèbres pour la période moderne est Roger délivrant Angélique peinte par Ingres en 1819, qui rencontre un succès tardif, notamment auprès de Théophile Gautier (1855). D’abord placée dans la salle du Trône à Versailles, l’œuvre d’Ingres est accessible depuis 1824 au musée du Luxembourg, où elle reste jusqu’à son transfert au Louvre en 1874. C’est la référence dont s’inspire Bin pour cette gigantesque toile. Il lui emprunte non seulement le décor théâtral dénué de profondeur, solidement mis en place par les formes géométriques des rochers, mais surtout l’Andromède linéaire, fort éloignée de celle, frémissante, peinte par Théodore Chassériau en 1841.

Si, dans ce tableau de Bin, la conception des formes, délimitées par un trait continu qui les isole sur le fond, elle manifeste également la dette de l’artiste envers la peinture italienne. L’absence de naturalisme dans le traitement des figures et du paysage, en particulier dans celui des rochers, et la disposition frontale d’Andromède à la ligne serpentine, dont l’ondulation répond à celle de sa chevelure, appartient au vocabulaire maniériste. Le motif de Persée, quant à lui, n’est pas sans évoquer le Mercure aérien de Raphaël (Rome, loggia de Psyché, villa Farnésine) si souvent réinterpréter (Bouchardon, Fragonard, Ingres…)

Par leur nudité absolue, qu’aucune pièce de vêtement ne vient dissimuler, et par l’opposition de leurs carnations, les personnages apparaissent comme les éléments d’un discours sur les grandes catégories esthétiques que sont le lisse et le musculeux, la fragilité et la force, la passivité et l’énergie, composantes des mythes de Vénus et d’Apollon.

Le déséquilibre apparent de la mise en page, les éléments principaux de la composition étant concentrés sur la gauche et le centre du tableau, est destiné à ménager un espace pour l’apparition du monstre marin, surdimensionné en comparaison du traitement habituel du thème. L’outrance du motif, dont le caractère fantastique est inspiré du bestiaire médiéval, l’épiderme luisant de l’animal, sa gueule béante aux dents scrupuleusement détaillées, la représentation des personnages en appui sur les orteils, la posture singulière de Persée (qui suscite une caricature de Cham dans Les Salons caricaturaux sous le titre de Persée faisant de la batoude américaine avec le monstre au lieu de se dépêcher de délivrer cette pauvre Andromède) sont à mettre au rang des curiosités formelles auxquelles le peintre se livre ici. La terreur d’Andromède garde un caractère convenu : l’expression de son visage, aux yeux écarquillés, et la tension de sa silhouette n’offrent pas la flexibilité lascive de l’Angélique du tableau d’Ingres. Même si Bin est allé chercher son modèle dans les grandes nudités d’Ingres, tout aussi irréalistes, comme la Vénus Anadyomède (Chantilly, musée Condé) ou la Source (Paris, musée du Louvre), son héroïne se révèle davantage la sœur des Vénus de William Bouguereau (1825 – 1905), son condisciple à l’École, ou celle d’Amaury-Duval (1808 – 1885).

La double signature de l’artiste, figurant sur une toile destinée à être exposée et, qui plus est, appartenant à l’État, est surprenante puisqu’elle dévoile avec ostentation sa qualité de franc-maçon. Cependant, cette particularité n’apparaît pas sur le dessin d’Andromède reproduit dans L’autographe au Salon et dans les ateliers ni, semble-t-il, sur les autres œuvres conservées dans les collections publiques. Pour celles déposées à Marseille (détruite pendant le Seconde guerre mondiale), à Nantes et à Issoudun, les vérifications n’ont pu être effectués.

Initié à la Clémente Amitié le 19 juillet 1874, c’est vraisemblablement par conformisme familial que Bin entre en maçonnerie. En effet, son père, son cousin Victor Bin, son oncle maternel Nicolas Gosse et les deux fils de celui-ci, Guillaume-François et Théodore-François, tous peintres, appartiennent à la même loge. Créée en 1805 à Paris, celle-ci est influente et connue pour son indépendance d’esprit. En collaboration avec son oncle Nicolas Gosse, dont il a été l’élève, Emile Bin réalise des peintures décoratives pour l’hôtel du Louvre.