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Huile sur toile
H. 61 cm. ; l. 50,5 cm.
Acquis par Mme Demogé-Lucas pour le musée de Tours, dépôt de la Direction des Musées de France,
Inv. D 1963-2-1
Né en Italie d’un père français, commissaire-intendant à la Grande Armée, et d’une mère piémontaise, Boulanger a toujours été considéré comme un artiste de second plan entraîné momentanément sur le devant de la scène parisienne en raison de ses intenses amitiés littéraires de la période romantique.
Admis en 1821 dans l’atelier de Guillaume guillon Lethière (1760 – 1832) à l’École des Beaux-arts, il y reste jusqu’en 1824 et se lie à la même époque avec Eugène Devéria. Ensemble ils louent un atelier rue de l’Est et suivent l’enseignement d’Achille Devéria (1800 – 1857, frère d’Eugène), qui fréquente Victor Hugo. Très attiré lui-même par la poésie, sa rencontre avec Hugo exerce une influence décisive sur son orientation artistique, puisqu’il devient l’un des premiers illustrateurs du poète , auteur de costume (Hernani, 1830) et de décors pour ses drames, puisant par ailleurs son inspiration dans la littérature. Par un trait commun à la plupart des acteurs du mouvement romantique, il trouve chez Dante, l’Arioste, le Tasse, Shakespeare, Cervantès, Byron, Scott une source intarissable de sujets qui alimentent également les discussions du cénacle réuni autour de Hugo. Boulanger y côtoie le sculpteur David d’Angers et le peintre Eugène Delacroix, ainsi que les poètes Alfred de Vigny, Alfred de Musset, l’écrivain – historien et archéologue Prosper Mérimée et surtout le critique littéraire Charles-Augustin Sainte-Beuve, qui devient l’un des ses plus fervents défenseurs. Le Salon de 1827 consacre son premier succès avec Le supplice de Mazeppa (Rouen, musée des Beaux-arts), qui lui vaut une médaille de deuxième classe.
Inspiré de Lord Byron (1788 – 1824), le supplice du héros polonais Mazeppa, montrant de morceaux académiques alliés à la fougue de Delacroix, lui assure l’estime de la critique, Théophile Gautier ou encore Alexandre Dumas. Une réciproque admiration rapproche ce dernier et Boulanger, qui illustre plusieurs de ses ouvrages (les six volumes de Crimes célèbres, 1839 ; Les Trois Mousquetaires, 1844 ; Vingt Ans après, 1845) et dessine les maquettes des costumes de Christine de Suède, créé à l’Odéon en mars 1830. En 1833, il décore l’appartement de Dumas pour le célèbre bal que l’écrivain donne lors du carnaval. Boulanger développe également une importante activité lithographique, tirant ses motifs de Hugo (La ronde de Sabbath, 1828, d’après Odes et Ballades) exploitant la veine macabre du romantisme (Albertus et La comédie de la mort, d’après Théophile Gautier ; Dernier jour d’un condamné et Les fantômes, d’après Victor Hugo). Sa vision s’adoucit ensuite avec des illustrations des Orientales (Sara la baigneuse, d’après Hugo).
En octobre 1845, il accompagne le peintre Eugène Giraud, les écrivains Auguste Maquet, Alphonse Desbarolles, les Dumas père et fils dans un voyage en Espagne entrepris à l’occasion du mariage du duc de Montpensier. Si l’écrivain en retrace les péripéties dans les volumes de ses Impressions (De Paris à Cadix et Le Véloce), le peintre qui, au-delà de Grenade pousse son incursion jusqu’en Algérie, n’en rapporte guère que des accessoires pour des scènes de Gil Blas (Salons de 1857 et 1859), de Don Quichotte et de Lazarillo de Tormès (Salon de 1857) et de rares sujets pour le Salon de 1849(Étude de mauresques), de 1850 (Un coin de rue à Séville et celui de 1857 (Un bazar à Constantine et Gentilshommes de la Sierra). En 1860, il est nommé directeur de l’École des Beaux-Arts et du musée de Dijon.
C’est assurément dans son œuvre de portraitiste que Boulanger se montre le plus heureux. Aux portraits précoces de son entourage, ceux de sa mère et de sa sœur Annette, à ceux de Victor Hugo, de son épouse et de leurs enfants (1835, Paris, maison de Victor Hugo), succède une galerie amicale et familiale (Petrus Borel, Salon de 1839 ; George Sand ; Mme Louis Boulanger, Paris, musée du Louvre ; Auguste Maquet, Salon de 1846 ; Portrait de M. Dumas fils, Salon de 1859) ou de commandes qui assurent sa réputation dans ce domaine, faisant reconnaître à Balzac que « le mérite de Boulanger est dans le feu de l’œil, et dans la vérité matériel des contours dans une riche couleur ».
Portrait d'Honoré de Balzac
L’étude du tableau réalisée à l’occasion de l’exposition Balzac et la peinture au musée des Beaux-arts de Tours en 1999 a permis une mise au point décisive concernant son historique. Les recherches menées par Danielle Oger (conservatrice au musée de Tours) a permis de trancher une question longtemps débattue. A l’inverse de ce qui a été écrit à plusieurs reprises, il a été démontré que le tableau de Tours ne peut pas être celui que Boulanger expose au Salon de 1837, mais son esquisse.
Depuis 1833, Balzac « résiste aux prières de Schnetz et de Scheffer qui veulent absolument faire [son] portrait » écrit-il à Mme Hanska, amie de l’écrivain. C’est vraisemblablement autant pour répondre au désir de celle-ci de posséder un souvenir de lui que convaincu de la nécessité de contrôler sa propre image que Balzac consent enfin à commander son portrait. Celui-ci comblera l’absence d’iconographie le concernant, malgré la reproduction de médiocres lithographies parues dans des périodiques et la mise en vente par le sculpteur Jean-Pierre Dantan en 1835 de statuettes caricaturales.
Son choix se porte sur Boulanger, qu’il a sans doute connu par les Devéria et auquel le lient, depuis Le Supplice de Mazappa (Salon de 1827), une admiration réciproque et une amitié partagée. De nombreuses séances de pose viennent interrompre l’intense activité créatrice et sentimentale que développe Balzac à l’époque de l’exécution du portrait, au début de l’été 1836. Il en manifeste quelque regret à Mme Hanska : « certes il a fallu le désir d’être chez vous, au moins en peinture pour me faire passer par-dessus la perte des trente jours qu’a voulue Boulanger ». Représenté dans une tenue qui surprend les critiques du Salon, vêtu d’une robe de chambre imitant un froc de moine, les bras croisés sur la poitrine, l’écrivain rend à la fois l’image de la vie monacale qu’il s’impose pour mener à bien ses projets littéraires foisonnants et celle de la puissance de travail qu’il doit alors déployer. Théophile Gautier en souligne la singularité : « Quelle fantaisie l’avait poussé à choisir […] ce costume qu’il ne quitta jamais ? […] Peut-être symbolisait-il à ses yeux la vie claustrale à laquelle le condamnaient ses labeurs, et, bénédictin du roman, en avait-il pris la robe ? ». L’œuvre définitive, qui satisfait Balzac (« ce que Boulanger a su peindre et ce dont je suis content, c’est la persistance à la Coligny, à la Pierre le Grand, qui est la base de mon caractère – l’intrépide foi dans l’avenir »), rencontre également un immense succès au Salon, ce dont témoigne l’abondance de la critique contemporaine et la longue suite d’œuvres (statuettes, lithographies, charges) par Grandville, Roze, Platier, Bertall, Allet, Julin, Gavarni, qui, du vivant de l’écrivain, popularisent sa silhouette. Expédié à Mme Hanska à Wierzchownia (Russie, aujourd’hui Ukraine) après l’exposition, le tableau est resté chez les descendants du frère de celle-ci jusqu’à la fin du siècle dernier. Malgré des recherches entreprises dès 1957 par l’écrivain russe Leonid Grossmann (1888-1965) à l’occasion de son Balzac en Russie, l’œuvre n’est pas réapparue depuis et n’est plus localisée. Boulanger n’ayant probablement jamais réalisé la copie promise à sa mère, le portrait n’est plus connu aujourd’hui que par l’esquisse du musée de Tours, œuvre ayant appartenu à Alexandre Dumas fils. Celui-ci la tenait-il de son père, aussi lié avec le peintre qu’avec l’écrivain, et auquel l’un et l’autre pouvait l’avoir donné.
Ce portrait de Balzac entre dans les collections du musée en 1963 grâce à la préemption exercée en sa faveur par la Réunion des musées nationaux lors de la vente balzacienne de l’érudit collectionneur Marcel Bouteron, financée par la générosité de Mme Louis Demogé, mécène tourangelle.